«Les hommes rencontrent bien plus de difficultés que les femmes à trouver un poste à temps partiel»

22.05.2019

La conseillère nationale bernoise Flavia Wasserfallen (PS) s’exprime, dans un entretien, sur le manque de postes à temps partiel pour les hommes, sur l’absence de réel intérêt au niveau fédéral pour l’éducation précoce, et sur les offres extrafamiliales, qui ne sont efficaces pour l’équité des opportunités que si leur qualité est assurée. Cette politologue de 40 ans plaide pour un congé paternité pour tous inscrit dans la loi.

Flavia Wasserfallen, Conseillère Nationale PS/BE
Flavia Wasserfallen, Conseillère Nationale PS/BE

Quel est votre premier souvenir d’enfance, et quel âge aviez-vous?
Flavia Wasserfallen: je me souviens d’un incident qui m’a marquée. En 1983, j’avais quatre ans et nous avons déménagé à Hinterkappelen. Pour que mes parents puissent déballer les cartons sans être dérangés, ils ont installé les enfants dans une pataugeoire sur la terrasse. Tout à coup, j’ai vu un panache de fumée s’élever en face de nous: un gros incendie ravageait la ferme voisine.

Que signifie pour vous d’encourager les enfants entre 0 et 4 ans?
De nombreuses études attestent que la manière dont un enfant se développe au cours des premières années de sa vie est décisive sur le plan de l’équité des opportunités. Pour moi, l’encouragement précoce ne doit pas commencer seulement au début de la scolarité, mais déjà pendant la période de grossesse. J’ai remarqué qu’au niveau fédéral, le thème de la petite enfance n’est pas vraiment prioritaire. Les discussions portent plutôt sur l’accueil et les offres éducatives en milieu scolaire, ou alors sur les offres favorisant une meilleure compatibilité entre le travail et la vie familiale, mais les besoins des enfants ne sont pas au centre des préoccupations.

À propos de la compatibilité entre le travail et la vie familiale: comment réussissez-vous cet exercice d’équilibre dans votre environnement personnel?
Il n’est pas toujours facile de jongler avec plusieurs balles (sourires). Les autres familles ont le même problème. C’est justement pourquoi nous avons besoin d’offres extrafamiliales de qualité et à notre portée, qui répondent aux besoins et qui sont compatibles avec notre budget. Pour les parents en Suisse, la facture pour l’accueil extrafamilial d’enfants est supérieure à la moyenne des autres pays européens. Nos voisins obtiennent davantage d’aide de la part de l’État. Je constate également que les hommes rencontrent beaucoup plus de difficultés que les femmes à trouver un poste à temps partiel. C’est aussi un domaine où il faut que les mentalités évoluent.

Pourquoi vous engagez-vous en faveur de READY!, et donc d’une politique globale de la petite enfance?
Ce sujet m’intéresse depuis longtemps – bien avant que je devienne mère de trois enfants. Le récent rapport de la Commission pour l’UNESCO «Instaurer une politique de la petite enfance» montre très clairement que l’accueil et l’éducation de la petite enfance sont des thèmes encore en friche. Il faut absolument que cela change. En tant qu’élue, j’ai décidé de m’engager en faveur de la prise en charge extrafamiliale d’enfants dans des structures d’accueil de jour. Au niveau fédéral, j’aimerais rassembler les nombreux acteurs et actrices qui œuvrent en faveur d’une politique intégrée de la petite enfance. Il est essentiel qu’une action coordonnée se mette en place pour pouvoir progresser.

Que faites-vous concrètement pour cette cause dans votre environnement professionnel?
J’ai récemment pris un engagement en tant que présidente de l’Association suisse des consultations parents-enfants (ASCPE). Cette organisation est un acteur important dans le domaine de la petite enfance. Nous proposons des offres de consultation facilement accessibles qui touchent de nombreuses jeunes familles, puisqu’elles ciblent les parents ayant de petits enfants âgés de 0 à 5 ans. Nous avons une vaste palette d’offres de consultation. Nous sommes à la disposition des parents pour toute question liée à la santé, à la compatibilité travail - vie familiale, à l’éducation et au développement, mais nous offrons aussi notre aide dans les situations familiales difficiles et les problèmes psychosociaux. Le but de notre stratégie est de relier en réseau les différents acteurs qui s’engagent en faveur d’une politique intégrée de la petite enfance. Nous aimerions aussi obtenir un meilleur ancrage des consultations parents-enfants dans les législations cantonales, afin de mieux regrouper les compétences et les ressources pour la petite enfance. Je souhaite également apporter ma pierre à l’édifice de la petite enfance afin que les connaissances dans ce domaine augmentent. Mais j’aimerais ajouter encore un point important.

Dites-nous.
Je trouve que la mise en place de la «Swiss Society for Early Childhood Research» a été une grande réussite. J’étais présente lors de l’événement de lancement l’an dernier. Il faut saluer l’existence de telles organisations spécialisées qui visent à promouvoir la recherche dans le domaine de la petite enfance, mais qui sont aussi investies d’une mission de vulgarisation des connaissances.

Qu’est-ce qui fonctionne bien en Suisse dans le domaine de la petite enfance?
C’est une question épineuse (réfléchit longuement). En Suisse, grâce à notre structure fédéraliste, il existe des communes et des cantons dont les actions sont exemplaires. Je citerai ici la ville de Berne avec son programme «Primano». Il s’agit d’une initiative globale qui, notamment par le biais de visites à domicile, offre de meilleures opportunités éducatives aux enfants de familles ayant un faible niveau d’éducation. C’est une contribution majeure à une intégration réussie. Je ne peux que recommander aux autres communes d’emboîter le pas à la ville de Berne.

Dans quel domaine voyez-vous le plus grand potentiel d’action?
Dans le rapport suisse sur l’éducation, on a reconnu que les enfants de familles sans formation académique ont moins de chances de pouvoir suivre une filière éducative supérieure. Dans ce domaine, le potentiel d’action est tout aussi grand qu’en ce qui concerne les places dans les structures d’accueil extrafamilial. Les places d’accueil existent désormais en nombre suffisant dans certaines régions, mais il en existe toujours trop peu qui soient abordables pour toutes les familles. Autre aspect important: s’agissant de ces offres, il faut mettre davantage l’accent sur les besoins des enfants. Les offres extrafamiliales ne sont efficaces pour l’équité des opportunités que si leur qualité est assurée. Bien entendu, il va aussi falloir examiner de plus près les conditions de travail du personnel d’accueil et le problème du manque de main d’œuvre spécialisée.

Comment voyez-vous le rôle de l’État?
La mission de L’État est importante. En fait, ce rôle doit être compris au sens large: l’enfant n’a pas seulement le droit de fréquenter une école à journée continue, mais il a également droit à une place en crèche à un prix abordable. L’État doit donc mettre en place des structures et des ressources adéquates, mais aussi veiller à ce que tout le monde puisse profiter d’une offre d’accueil extrafamilial étendue et abordable. L’équité des opportunités pour tous les enfants est à ce prix.

Comment voyez-vous le rôle des milieux économiques?
Sans la participation des milieux économiques, rien ne pourra se faire. Heureusement, je sais qu’il existe des exemples positifs dans ce secteur. Les entreprises doivent aménager des structures favorables à la famille pour leurs employés, afin que la compatibilité travail - vie familiale soit possible. Exemple: la remise de bons de placement ou la création de crèches en entreprise. Il faut aussi qu’elles développent davantage les modèles de travail à temps partiel à tous les niveaux hiérarchiques et qu’elles proposent des congés paternité plus généreux. C’est le seul moyen pour favoriser un attachement père-enfant plus fort. Les milieux économiques doivent aussi contribuer à la recherche sur la petite enfance.

Que répondez-vous à ceux prétendent qu’une PME ne peut pas se permettre de proposer des postes à temps partiel ou un congé paternité payé?»
J’entends souvent cet argument, et je pense qu’il faut examiner cette question de plus près. Dans mon travail précédent, j’étais co-secrétaire générale du PS suisse, qui employait 40 personnes. On n’avait encore jamais tenté l’expérience d’un poste partagé à la direction. Le job sharing dans cette situation a d’abord fait l’objet d’un essai, et si cette configuration a pu durer, c’est parce que l’expérience a été une réussite. Je suis convaincue que les modèles de job sharing ou de poste à temps partiel sont bénéfiques pour une entreprise, car les collaborateurs et collaboratrices qui en profitent sont plus satisfaits et leur vie est plus équilibrée. Je peux comprendre qu’une PME ne dispose pas de moyens illimités pour proposer des conditions généreuses en matière de congé paternité. C’est pourquoi je plaide pour un congé paternité pour tous qui soit inscrit dans la loi, avec un minimum de quatre semaines, et financé par le biais des allocations pour perte de gain.

Quels arguments utiliseriez-vous pour convaincre les détracteurs que les investissements consentis dans la petite enfance sont rentables à long terme en Suisse?
Les études montrent que chaque franc investi dans une structure d’accueil pour enfants produit le double. Même dans une optique à long terme, il est judicieux d’améliorer les conditions entourant la petite enfance. La pauvreté est transmissible. Il est donc de notre devoir de proposer des offres d’encouragement adéquates afin d’accroître l’égalité des chances pour les enfants de familles ayant un faible niveau d’éducation. Avec une telle approche, on augmente le potentiel d’économie des coûts subsidiaires, car les enfants deviennent plus autonomes et moins dépendants de l’aide sociale.

Interview: Thomas Wälti